AWLT - Tasmanie

14 juillet 2018


Voilà une partie du monde qui semble très, très loin. Pour nous, cette île d’Australie était une destination à visiter absolument une fois dans nos vies. Nous l’avons donc ajoutée dans notre liste comme une évidence. Le Totem Pole, pensé depuis l’Europe était l’objectif de Tasmanie le plus chargé d’imaginaire, mais il y a beaucoup plus que ça. Des amis, Jorg et Katharina, nous ont conseillé d’y rester environ une dizaine de jours. Nous calerons la période en janvier correspondant au plein été sous le 45ième parallèle de l’hémisphère Sud. Nous avons pris des billets pour 2 semaines, loué une petite voiture pour se déplacer sur l’île et réservé un « Airbnb » pour avoir un « chez nous » un peu chaleureux... pour les jours de dépression australe sous influence des quarantièmes rugissants et des confluences amoureuses de trois océans, indien, pacifique, austral, avec la petite mer de Tasman pour arbitrer les débordements météo.

La Tasmanie est australienne et n’est desservie que par Melbourne. Quand nous avons quitté la Nouvelle Zélande, nous y avons donc fait une rapide escale pour récupérer/déposer des affaires chez Steve. Nous avons ensuite atterri à Hobart, la plus grande ville de Tasmanie. Pour l’anecdote, en début de soirée, nous sommes montés dans notre 3e voiture de loc’ de la journée et avons roulé jusqu’à « Carlton » où nous avons été chaleureusement accueillis par Julie, notre hôte Airbnb. Et voilà, nous étions en Tasmanie, la première « première fois » du trip pour nous deux !

Nous avons ouvert le topo et nous nous sommes laissés guider par les photos, qui montrent des rochers incroyables, inspirant l’aventure. Par défaut, les projets n’augurent pas d’un grand niveau de difficulté, mais quelques singularités géologiques aberrantes se conjuguent à des ambiances très exceptionnelles. Notre Tasmanie sera donc épicurienne et étonnante. Elle sera une accumulation d'originalités qui ne se trouvent nulle part ailleurs par leur densité. Nous avons vite remarqué que tout ce que nous envisagions nécessitait des marches d’approches plutôt conséquentes, entre 1h et 2h. Peu importe, nous avions tellement envie d’y aller, nous faisant espérer que ces terrains de jeux reculés seront d’autant plus loin des foules invasives. Il nous restera à profiter du moindre créneau météo, fusse sur une demi-journée, pour optimiser au maximum notre boulimie. Nous allons viser une série de structures rocheuses indéfinissables, pilier, cigare, mégalithe, totem, menhir… espérant conjuguer l’inattendu, l’aberrant et le contemplatif.

Organ Pipes

-42.896857, 147.242424


Nous avons cherché la facilité d’accès pour commencer, avec les « Organ Pipes », un secteur situé au dessus de Hobart, à seulement 20 minutes d’approche depuis le parking, très raide. Nous sommes allés directement au secteur appelé « Alberts tomb » portant un mégalithe solitaire. Nous étions un peu sceptique sur la tenue de cette sorte de menhir géant d’à peine une quinzaine de mètres de haut, juste posé sur une terrasse étroite. Sans voie de réelle échauff aux alentours nous sommes montés directement dans « Slap Dancer », 7c, pour laquelle nous étions venus . Dans un style de grimpe vraiment déconcertant, entre compression, équilibre, talons et adhérences, il nous a fallu une montée pour nous relâcher et nous rassurer de la stabilité du monolithe et curieusement apprivoiser une certaine forme de gaz qui en découle, alors que l’objet de notre ardeur ne peut ni être défini comme un bloc, ni être classé au rang des voies de diff. Au re-run, nous avons eu tous les deux une résolution propre et précise. Pour l’anecdote, on se doit de faire un coucou au nain de jardin qui se dore la pilule au sommet du pilier. Nous avons ensuite essayé une voie en 8a derrière l’arête à gauche. Malgré le temps que nous y avons passé et une volonté assez imaginative, et plutôt tenace, nous n’avons juste pas pu résoudre une séquence au milieu malgré nos deux tailles. Comme quoi, tout challenge oppose sa résilience et nécessite parfois du temps. Nous avons appris plus tard que la voie n’avait été enchaînée qu’une seule fois par le sorcier local, « Garry Phillips », après moultes tentatives. Il se peut que nous n'ayons rien compris, mais raisonnablement je retiendrai avoir croisé une expérience de grimpe contribuant à la modération de mes certitudes.


Totem Pole

-43.139223, 148.006189

Le but initial de ce voyage étant le Totem Pole, nous n'avons pas perdu de temps et nous avons profité de la première fenêtre météo qui se présentait. Nous nous sommes rendus à l’extrême Sud de la péninsule de Tasmanie. Pour être honnête, j'ai eu une très mauvaise première impression... avec toutes les images vues et les histoires entendues, j'ai idéalisé quelque chose d'impressionnant, majestueux, sauvage, lointain, épique. Mon appréhension ne vient pas d’une approche de 1h30 en montée et descente sur de grandes collines, mais plutôt d’un chemin d’approche très marqué, trop. C’est de fait une "autoroute pédestre" et nous croisions des dizaines de randonneurs, tous venant ou allant au même point. Chacune des personnes nous croisant avec notre matos d'escalade sur le dos rajoutait une couche de déception à mes rêves d’isolement : « Vous allez grimper au Totem Pole ? il y a déjà des gens dessus ...». Ainsi, Totem-Pole est aussi une arène à spectateurs. Il y avait d'autres grimpeurs, 8 au total, certains dans le Totem, d'autres dans le « Candlestick » à côté. Une deuxième part de ma déception tient au fait que le Totem Pole est très petit, c'est ce qu'il semble, coincé au milieu de hautes falaises de chaque côté.

photo prise par Andrés Valencia, un grimpeur/ photographe venu lui aussi grimper le Totem ce jour-là.

Heureusement, la mauvaise impression a disparu quand j'ai commencé à descendre en rappel dans cet antre de rocher fissuré au ligne de fuite plongeant dans une eau tumultueuse pleine d’écume, cela redevenait magique, me faisant ressentir minuscule dans le chaos de ce gouffre. Il me fallait penduler au-dessus de l'eau pour accéder au Totem Pole qui se trouvait à plusieurs mètres de ma position. A ma première tentative, je ne suis même pas allée à mi-chemin , très incrédule et me faisant penser « mince, je ne le ferai jamais ». Contre toute attente, j'ai vu que ma corde était coincée derrière une petite écaille, alors j'ai poussé de nouveau avec toute l’énergie de la rage et je me suis écrasée contre le Totem Pole, tellement surprise que j'en ai raté le point sur lequel je devais clipper ma longe. Au 3ième essai, ça m’a paru trivial. La mer étant assez formée, j’ai arrosé mon arrivée avec quelques bonnes grosses éclaboussures d'eau se trouvant pourtant à quelques mètres en dessous. Josh a grimpé la première longueur, étonnamment jolie avec des mouvements originaux sur un bon rocher tout noir. Je l'ai rejoint au relais et ai enchaîné avec la deuxième longueur. Celle-ci se grimpe en semi-trad, incluant quelques placements de coinceurs et friends. Cette ligne, très courte, trop, sur un rocher excellent, porte des difficultés juste suffisamment techniques pour se permettre de prendre le temps de conjuguer la gestuelle avec des résolutions harmonieuses... et très agréables.


Après que Josh m’ait rejoint au relais, je n'ai pas résisté à l'envie de grimper les 5 derniers mètres pour aller au sommet du pilier. Pour quelques secondes de magie, la situation mobilise tous mes sens. On y trouve à peine plus que de pouvoir mettre les deux pieds côte à côte. On y apprivoise du vide, du chaos, et la résonance d'une mer qui se fracasse à 360°. Pour compléter l'ambiance et pour rejoindre la terre ferme, il faut mettre en place une tyrolienne depuis le relais de la 2e longueur avec la corde de rappel gardée accrochée au deuxième grimpeur. Là, Alex, le grimpeur précédent, avait laissé sa tyrolienne en place pour un re-run un peu plus tard. Au-delà d'avoir remonté notre corde initiale de rappel pour rien, la corde installée n’a rien enlevé à l'ambiance d'une tyrolienne sacrément spectaculaire, dont on voudrait qu’elle s’éternise un peu plus pour son incroyable situation. Durant ces très courtes minutes de funambulisme, savourer chaque mouvement, focaliser chaque regard sur cet environnement mouvant, seront autant de souvenirs bien ancrés.


Et voilà, un jour de janvier, juste comme ça, comme en passant d'un continent à l'autre suspendus à un bout de ficelle, nous avions grimpé le Totem Pole de Tasmanie et sommes revenus sur la terre ferme ! Nous étions libres de nous ouvrir à d’autres aventures improbables.


The Moai

-43.120948, 147.979287


Au lendemain du Totem Pole, plutôt épuisés par notre rythme des jours passés, nous avons pris la matinée pour nous reposer, mais nous savions devoir optimiser la météo et voulions quand même grimper dans l’après-midi. Nous étions un peu réticent à beaucoup marcher, mais tous nos objectifs avaient une longue marche d’approche. Nous avons décidé d'engager notre objectif suivant, « the Moai ». Ce nom, rappelant les statues de l’île de Pâques, ne peut pas être plus prédestiné. Accessible depuis le même parking que la veille, l'approche de 1h30 est plus agréable et beaucoup plus plate. Elle part d'une plage de sable blanc. Au terme du cheminement, nous sommes arrivés au-dessus d'une falaise. Nous pouvions voir notre objectif en contrebas... et nous sommes seuls !


Nous avons posé un rappel de 60m jusqu’au niveau de la mer. L'arrivée sur un promontoire rocheux nous permet de marcher jusqu’au fameux Moai, un pilier-statue qui tient debout tout seul, à quelques mètres de l'eau. La situation du monolithe est plus ouverte, moins enclavée que le Totem-Pole, et son intérêt technique est tout aussi agréable, singulier et motivant.


Nous avons escaladé les deux voies principales, dont l'une est en semi-trad. C'était une escalade tellement cool, sans la contrainte d’un surdosage d’attention technique, du pur et simple plaisir, celui d’être là à vivre ce moment et ce lieu. Je me suis sentie à la bonne place, debout sur cette étroite terrasse au sommet du pilier, les vagues battant la roche au-dessous de nous.


Cape Raoul

-43.242061, 147.799373 ... voir Google Maps en mode satellite 3D


Un matin nous nous sommes levés à 4h30, avons quitté la maison à 5h et avons rencontré Simon Bishoff, photographe local, au parking « du Cape Raoul Trailhead » dans extrême Sud de la péninsule de Tasmanie. Après s'être suivis sur Instagram, nous l'avons contacté pour faire quelque chose ensemble. Quelle journée ! « Cape Raoul » est probablement la formation naturelle la plus folle que nous ayons vu en Tasmanie, en tout cas, je ne sais pas comment cela pourrait être plus improbable. C'est un cap fait d'un tas de piliers empilés, accolés les uns aux autres et alignés dans une même direction, formant comme la colonne vertébrale d’un dinosaure géant tombant dans l'océan.


Il est accessible par 1h30 d’une marche d’approche sur un sentier convenable, puis 8 heures d’un Aller-Retour alternant marche, grimpe en trad, descente en rappel et moments de contemplation. A la toute fin de l'ensemble, se trouve « Pole Dancer », une magnifique ligne équipée à la croisée des deux faces d'un pilier, comme une gourmandise ajoutée à un gâteau déjà bien extraordinaire.


Pour l’anecdote, une colonie de phoques est installée en-dessous, ajoutant du divertissement, des cris et des râles semblant nous être adressés comme des ovations à chacun de nos mouvements... et des effluves pouvant aller de la furtivité du fumet, à une puanteur absolue.


Mount Brown

-43.206140, 147.866094


Notre dernier «but» était le « Mount Brown », situé sur la péninsule de Tasmanie comme tous les autres spots déments. Nous avons apprécié la marche d’approche, qui était "seulement" de 1 heure et pas trop raide. Le site est une falaise côtière. Le mur principal du Mt Brown, haut de 210 m, porte quelques voies de plusieurs longueurs. Nous avons choisi « Talk is Cheap », 9 longueurs jusqu’à 7a+. La topographie du secteur impose l'originalité de devoir descendre en rappel, avec une arrivée à quelques mètres au-dessus de la mer. C'était aussi spectaculaire, que plein de gaz. Nous nous sentions décrochés du monde, isolés dans une minéralité verticale que rivalise une perspective aquatique occupant tout l'horizon. Le rocher était de très bonne qualité avec quelques prises et formations vraiment originales. Les longueurs présentent des gestuelles très élégantes. Rien d'exceptionnellement difficile, et pour autant l'enjeu technique habituel ne nous a pas manqué. Le cadre de cette falaise et l'ambiance au relais de départ, étaient comme le bout d'une dernière terre, une impasse avec pour seuls horizons un ciel conjugué à une eau sans limite, le bord ultime du monde au-delà duquel tout bascule dans un océan sans fin.


Le diable est là

Une réserve située sur la péninsule nous a permis de découvrir le fameux Diable de Tasmanie, malheureusement en voie d'extinction, et de naviguer librement au milieu des kangourous et wallabys !



Autres activités

Nous avons bien fait d’aller sur nos coups de cœur assez rapidement, sans rien négliger de la moindre opportunité, car par la suite nous avons eu 4 jours d’un très mauvais temps ne permettant pas de grimper, suivis de 2 jours ensoleillés avec des températures atteignant les 40°C, à cuire dans l'humidité latente, et enfin 2 jours de pluie. Nous ne sommes donc pas allés beaucoup dehors, mais nous en avons profité pour beaucoup travailler à la maison et avons fait quelques séances à la salle « Rock it gym » à Hobart. Cette salle nous aura permis de bons moments, bien accueillis par le propriétaire « Rick » et sa fille « Roxy ». Nous y avons fait deux séances de coaching, l’une avec l’équipe jeune de la salle pour préparer leur championnat, et l’autre avec un groupe d'adultes pour leurs apporter quelques méthodes et ficelles de terrain, en vue de leurs objectifs.


Nous avons aussi visité le musée Mona, énorme bâtiment souterrain proposant de l'art un peu fou où nous avons passé 2h à nous promener, grenouiller, lanterner dans tous les sens et avons fini par perdre notre chemin.

Nous avons également fait le premier podcast du voyage ! C'était bien sympa de débattre avec « Hanny », la propriétaire de « Find your feet », un magasin Outdoor de Hobart.

Pour l'anecdote, nous avons assisté lors de notre dernière nuit sur l'île à la "lune sanglante", doublée d'une éclipse de lune. Un beau spectacle !


La Tasmanie aura été une étape très époustouflante, faite de moments de grimpe simples et épanouissants. Du point de vue de l'escalade, cette île dispose d'une sorte d'échelle de Richter géologique, unique, faite de toutes les variations de l'improbable. Elle nous aura comblés d'avoir pu passer du temps dans une nature sauvage révélant des structures rocheuses aussi endémiques. Il ne sera probablement jamais plus opportun de dire, que pour le niveau technique engagé, de l'ordre du 7a/b, ce concentré d'objectifs exceptionnels est à la croisée de plusieurs publics de grimpeurs, et pour un laps de temps relativement accessible. Notre regret est de ne pas y avoir consacré plus de temps. Nous avons pourtant grimpé tout ce que nous voulions dans les 10 jours dont nous disposions, mais il y a tellement plus à découvrir, notamment dans la zone développée du « Freycinet National Park » sur la presqu’île Est, ou même dans le centre de la Tasmanie ou le Sud-Ouest complètement laissés à la nature...


Pour l'instant, sans prendre le temps de nous retourner, nous continuerons à rêver de ce qui nous attend, de beaucoup d'autres destinations que nous souhaitons pouvoir explorer. Cinq mois sont déjà passés et nous ne pourrions pas être plus excités de vivre encore plus de ces expériences qui nous feront suivre un pointillé virtuel traversant les continents américains, africain et asiatique.


La Vidéo Destination


Nos réalisations

Slap Dancer, Organ Pipes, 7c

Pole Dancer, Cape Raoul, 6c

Talk is Cheap, 9 longueurs, Mt. Brown, 7a+

The Free Route, Totem Pole, 7b

Ancient Astronaught, The Moai, 7a+


Nourriture favorite

Pour le « must », nous avons déjeuné au restaurant « Barilla Bay Oyster » à côté de l'aéroport. C'était délicieux, juste un grand plateau d'huîtres, chaudes et froides, avec des garnitures végétales diversifiées.