Flatanger

1 juin 2016



En août, en rentrant de Salt Lake city, j’ai à peine mis un pied en France, que je rebondissais en avion jusqu’en Norvège. J’y ai retrouvé mon papa, mon frérot Thomas et Emilie sa compagne. Ils ont roulé depuis la Bourgogne en camping-car jusqu’à la ville de Trondheim. De là, nous avons roulé jusqu’au village de Lauvsnes, environ 4h au milieu de petites collines chargées de forêt sans fin et de lacs épars, et parsemées ici ou là de maisons rouges en bois, au toit borduré de blanc. Quelques tours de roue plus loin, nous nous garons à Strøm Gård dans un immense champ tondu parsemé de quelques tentes, et rencontrons le propriétaire Olav. Cette parcelle de champ tient lieu de camping. Une grange imposante longe le terrain pouvant servir d’abri en cas d’intempéries prolongés. Une petit mobil-home est aménagé en toilettes, douches, cuisine équipée, frigo, gazinière, eau et source d’électricité.

L’accueil fût très chaleureux et nous avons vite croisé quelques copains sur le camping : les frères Meignan, Seb Bouin et des copains de plusieurs nationalités. Le camping propose aussi une poignée de chambres à louer et du wifi gratuit. Pour des infos, c’est ici, climbflatanger.com.

C’est au pied du mondialement connu Hanshelleren que nous nous sommes rendus, site de grimpe le plus majeur de Norvège. Certes, personne ne connait Hanshelleren, mais si on évoque Flatanger, ça sonne plus familier. Flatanger est en fait un comté de la région du Namdalen, où se situe la grotte d’Hanshelleren. Ce comté regorge de beaucoup de sites repartis au gré des fjords, dont 4 sont accessibles à pied depuis le camping. Ces sites proposent tous un rocher granitique d'une super qualité, avec parfois des voies n’allant que du 4 au 6, même si c’est « Hanshelleren », allias « Flatanger cave », le plus médiatisé pour son concentré de lignes dans le 8ième degré pouvant aller jusqu’au 9b+. Flatanger est donc accessible à tous les niveaux, une bonne raison pour ne pas se priver du cadre et de son rythme de vie : des fjords à gogo, une faune et une flore des plus inhabituelles, une tranquillité et une zénitude comme il n’en existe que trop rarement, des gens adorables et des activités outdoor diverses et variées... le tout sur un des sites les plus référents de la planète.



Je n’avais pas regardé trop de photos au préalable et ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, à part du dévers, du gros dévers et de longues lignes de grimpe. Du coup en arrivant sur le site, j’ai été assez impactée par l'austérité du spot ! C'est une sorte de grande virgule ascendante formant un cirque évasé, comme « creusé » dans la colline. On l'aborde le matin par un immense mur vertical à gauche pour profiter de son ombre. Ce mur s’incline et prend de plus en plus de dévers en remontant vers la droite jusqu’à devenir un pur toit au milieu du cirque. A l’extrémité droite, le toit se recolle à la colline, laissant place à des dalles verticales légèrement positives.



Depuis le camping, on accède au spot en une petite demi-heure par la remontée d'un coteau très bien balisé. Elle est particulièrement spongieuse et boueuse jusqu'à 3 à 4jours après une période de pluie. Une fois au pied de la face, la vue est magnifique sur les fjords et la mer à perte de vue. En Norvège, les journées sont très longues, le soleil ne restant que 3-4h par nuit en dessous de l’Horizon. Le site est orienté Sud-Est, cela permet de bien organisé ces journées. Les jours de très beau temps, on opte pour deux sessions, matin + soir. Pour les jours où ça caille, c'est plutôt une seule session en milieu de journée. Les jours de pluie sont encore grimpables. Pour nous, du 08 au 20 août, ce fut idéal. On m’avait dit qu’il pleuvait beaucoup à cette période, mais au final seul le premier jours fût au couleurs grisatres d'une froide tempête de pluie, avec onglées de rigueur et embruns de vapeur générés par les rouleaux sous le vent de la grotte. La suite fût une dizaine de jours de grand soleil avec parfois des températures assez étouffantes par absence de brise.



Une première partie présente 5 voies dans le 4/5 et 14 voies dans le 6. Ce que je retiens du site, c’est surtout la partie à gauche du toit, qui forme un interminable mur en léger dévers, avec des envolées qui font rêver. Le caillou est d’une qualité exceptionnelle, fait d'un granit hyper adhérent, pas du tout cristallin anguleux ou abrasif. Ce rocher est structuré en d'immenses strates, assez imposantes et intimidantes à engager. Les voies et ouvertures sont typées modernes, faites d'une longueur de base, suivie d'une extension portant les envolées jusqu'à 50m, permettant à chacun de trouver son bonheur. Les voies sont donc longues, mais la probabilité d'envoyer de la pure conti est faible. Le petit bémol est souvent que la grosse cotation se fait en grande partie sur une section typée bloc, ou par un enchaînement rési très physique.


Non-objectif... en plafond

Après n’avoir quasiment pas grimpé depuis début juillet pour cause de blessure au genou, je n’avais pas de projet particulier si ce n’est de dérouler ma grimpe au niveau du moment. Je me suis rapidement régalée dans des voies en 8a/a+ pour la plupart desquelles, la difficulté est en deuxième longueur. Pour la curiosité, je suis allée voir la fameuse voie « Nordic Flower » qui se décompose en 2 parties 8b puis 8c. J’y allais principalement pour le 8b, même si je me suis laissée tentée pour aller voir la suite. Dans la première partie, il y a un crux tout en bas qui nécessite une travail spécifique sur le genou gauche, avec de mauvaises mains, et il m’était impossible avec ma blessure de tirer sur l’appui. Je fais tous les autres mouvements de la voie au premier run, et me laisse tentée par la suite en 8c. Le crux, juste après le relais du 8b est très physique, et se résout encore par un talon gauche qui permet de bouger les mains. Par crainte, je choisi de trouver une autre technique, avec un principe de contre-pointe, assez opérante mais délicate à retenir sur la durée. Le dernier mouv du crux, engage une complète extension, en toit, en charge latérale sur les deux épaules, puis on relâche les pieds pour ensuite les recoller en amortissant le balan. Je traîne un peu à caler ce passage-là, mais je comprends et ressens ce qu’il faut faire. La fin de la voie est très conti avec quelques passages délicats, sans pour autant présenter de crux ou mouvement typé bloc. La combinaison Dvergtrollet 8a+ et Nordic flower, en première partie est aussi définie 8b jusqu’au premier relais. Le départ étant moins bloc mais plus soutenu en résistance, c'est sous la dictée des conseils de Hugo que j’enchaine flash la longueur... puis je me laisse tenter par une deuxième approche du 8c. Je tombe au milieu du crux, ma contrepointe n’ayant pas tenu.



Après cette hyper longue ligne, je décide de profiter du potentiel des voies alentour. J’opte pour un 8a assez funambulesque, qui déroule son tracé sur le fil de la cassure du toit, dans sa partie droite, Litt pa Kanten. Encore une fois, le crux est un gros pas de bloc sur arquées qui se résout en tirant sur un talon gauche. Je dois donc trouver une autre méthode. Une solution prend forme, mais ajoute des mouvs plus techniques mais surtout moins radicaux et violents. Elle se résout par un gros talon droit sur lequel je viens m’écraser, suivi d'une combinaison de plusieurs arquées. Au premier essai, mon talon zippe. Au deuxième essai je tombe au dernier mouvement de ce crux qui demande du gainage et de la précision. Au troisième essai, en engageant ma méthode, j’entends et ressens dans mon genou droit, le « sain » déjà opéré en 2007, un énorme craquement qui, après une secondes de stupéfaction, me fait tout lâcher. J’en finis pour la journée et sentirai une douleur au toucher et dans des mouvements de flexions pour la suite du trip, sans plus m’inquiéter. J’apprendrais plus tard que je me suis à nouveau fissuré le ménisque droit, et fait une entorse du ligament latéral externe. Je sortirai la ligne le lendemain par ma méthode pour petit morphotype, plus technique mais plus intéressante, contournant la radicalité classique par le dessus.



Nordic flower, le retour

Après une dizaine de jours et quelques belles lignes de conti, je choisis pour le dernier jour, de retourner dans le 8c. Je décide que ma contre pointe est une méthode trop aléatoire et je tente le mouvement avec le talon gauche. Ça me fait mal, mais il ne faut pas tirer dessus, c’est juste un talon qui permet de rester près du rocher le temps de faire 4-5 mouvements de mains. Après avoir ultra géré le début, je passe le crux à talon, pas trop entamée, mais tombe sur le dernier mouvement, le plus dur, où il faut relâcher les pieds en gainant fortement pour amortir le balan. C’est notre dernier jour de grimpe et me sens déçue de ne pas avoir réussi l'enchaînement, même si je suis contente de l’effort que j’ai produit. Je me dis que c’est foutu, d’autant que j’étais entamée par la globalité de cette montée. Pour le détail, et pour mon morphotype, le relais du 8b fait une centaine de mouvs, le crux ultime se situe à 130 mouvs... et le relais du 8c à 160 mouvs environ. Un essai jusqu’à son terme capitalise une grosse dépense physique, mais aussi une sérieuse dépense nerveuse liée à la durée de l’état de concentration.




Juste avant que le soleil ne touche le rocher, je repars dans la voie, un peu sur les nerfs, partagée entre l’idée de juste récupérer mes paires dans la première longueur et la frustration de ne pas avoir enchaîné une très belle ligne. J’ai grimpé vite, un peu comme une automate, mais arrivée au relais de la manœuvre de corde, je me dis que ça ne coûte rien d’essayer. Je continue donc, concentrée mais pas particulièrement stratégique, en grimpant vite. Arrivée dans le 8c, je fais ce que j’ai à faire, passe le premier crux à talon, puis je broie les prises sous mes doigts dans le crux en épaules. Je ferme les yeux et gaine énormément sur une griffe pied droit pour sortir la contre pointe gauche. Tellement concentrée sur mes perceptions, le seul fait de rester ainsi collée au rocher me surprend et me fait émerger au terme de ce crux à présent consommé. Je continue la suite, moins soutenue, mais nécessitant une application exigeante. Pour le coup, je suis hyper appliquée et concentrée, et suis accompagnée des encouragements de quelques grimpeurs. Quelques minutes plus tard, je clippe le relais. Je n’ai pas particulièrement apprécié l’état d’esprit par lequel j’ai vécu tout ce début de voie, plus dans la consommation que dans la gestion d’une gestuelle harmonieuse. Ceci dit globalement, je suis contente d’avoir réussi cette ligne avec autant de précision et d’efficacité, même si l’effort y est parfois très physique du fait de la méthode usuelle, très inélégante. Cette ligne d’exception me permet de signer un nouveau 8c après 3 années de désintérêt total pour ce niveau de difficulté, et plus encore pour les représentations qui en sont faites.


Des lignes à parcourir

  • Kakestikket 7a, longue traversée sympathique et très parcourue, à la frontière de deux niveau de pratique, avec un petit crux de contournement d'un bombé... à déséquiper par un second de cordée. Faire extrêmement attention à son éventuelle redescente pour la récup des dégaines... retour au sol assuré sur les 3 à 4 points du départ (hélico de Trondheim à 3/4h)
  • Kykkeli 7b, LA ligne granitique à la logique toute tracée, remontant une fine fissure sublime, suivi d'un petit surplomb juste suffisamment aérien pour s'engager sans appréhension, avec des prises plein les mains.

  • Syvsover 7b, une ligne prisée par les octogradistes, pour son homogénéité à l'échauff.
  • Bondeanger 7c, très belle combinaison, homogène en difficulté. Départ par les 4 premières sections de Kykkeli pour rejoindre la ligne de Bondeanger. Ainsi combinée, la ligne perd un " + " mais gagne une élégance sans commune mesure.
  • Berntsenbanden 8a, une ligne en deux parties (L1 7c), l'extension finie bien cette longue et jolie conti. Un objectif accessible et sans piège pour des heptogradistes souhaitant une belle cerise sur le gâteau.
  • Eventyrblanding L1L2 8a, la ligne prend la partie gauche d'un trident de trois voies distinctes. La globalité est assez abordable. Un crux dalleux plus distinct se trouve au départ de la traversée engageant la ligne. A négocier en restant bien bas sous les préhensions de mains.
  • Nordic flower 8b, est évidemment la ligne incontournale des octogradistes. Elle rejoint les lignes 4 étoiles / 5 dans mon classement des voies d'exception

Jours de pause

La pêche est l’activité la plus singulière du coin, les jours de repos. Au milieu du pont, juste avant le village de Lauvsnes, on se pose aux heures de marées, et l'improbable opère. Pour l’anecdote, nous y sommes allés une première fois sans vraiment d’horaire, et on a pêché un seul poisson en un après midi. Nous y sommes retournés quelques jours après, sur les conseils d’un complice de camping, et là on en a eu une dizaine en 1h à peine ! On les a fait griller le soir sur le barbecue communautaire du camping... et c’était un délice ! Le petit village de Lauvsnes offre les premières nécessités de pèche à la supérette. On y trouve aussi un distributeur d’argent, une borne à essence, et un bar-restaurant.



Le canoë est une autre activité très adaptée. Pour cela, il est possible de louer un petit bateau auprès des proprios du camping, et il y a pléthore de circuits au gré des méandres locaux. Nous étions venus avec un canoé gonflable et en avons bien profité au fil des fiord et de leurs marées. A noter que les fjords locaux sont pour quelques-uns d'immenses réservoirs que remplissent les marées montantes, restituant leur contenu en retour à chaque marée descendante. Ces échanges se font au travers d'étroitures de terre allant de quelques mètres à quelques dizaine de mètres. C'est alors le lieu de courant torentueux très spectaculaires pouvant se développer très localement jusqu'à 2 à 3 mètres de dénivelée. Par ailleurs, s'engageant dans les fjord côté mer, et s'arrêtant sur les micro-îlots granitiques, on peut constater des miriades de coquillages éclatés, probablement fracassés par le brassage des marées.



Infos diverses

  • Pour accéder à Flatanger, on peut, soit prendre la voiture, soit prendre l’avion jusqu’à Trondheim. Moyennant un rendez-vous préalable, Olav peut venir vous chercher à l'aéroport, car il assure un service de taxi. La prestation n’est pas très cher, car l’état de Norvège subventionne cette nature de commodité, compte tenu des distances séparant des localités parfois très isolées. On peut aussi s'appuyer sur un service de bus au départ de la gare routière attenante à l'aéroport de Trondheim, et en direction de Namsos, puis utiliser le service-taxi de Olav. Sur place, il n’y a pas franchement besoin de voiture, étant donné qu’il y aura toujours quelqu’un du camping enclin à vous conduire au village, ou que vous pouvez marcher un peu, ou vous faire prendre en stop par un local.
  • Le retour fut nostalgique, car plein de souvenirs si distincts des autres hauts lieux de la grimpe mondiale. Ce retour fût assez rapide puisque nous sommes partis un jeudi soir après une journée de grimpe, et sommes arrivés le samedi soir sur Dijon, après plus de 2600 kilomètres parcourus et 5 pays traversés. Nous avions opté à l’Aller comme au Retour pour la liaison par ferry entre Puttgarden (Allemagne) et Rodby (Danemark). Le tarif dépend de la nature du véhicule. Le désagrément tient au péage inattendu et non signalé visant à s’acquitter d’une taxe pour l’usage de la série de ponts et tunnels sous-marins, avant Malmo (entrée en Suède).
  • Pour info, du camping il est possible d’accéder en 5 minutes à un secteur offrant des voies dans le 5-6-7 et même emprunter quelques barreaux d’une via ferrata. Il y a aussi 2 ou 3 chaos plutôt inexplorés aux alentours du camping. Certes avec Hanshallaren à côté, c’est un peu inapproprié de faire du bloc, mais il y a un potentiel certain, probablement même majeur.
  • Ah, on nous avait prévenu des moustiques et moucherons. Je confirme le désagrément, tout particulière au niveau du camping, exclusivement les jours sans vent. Ce petit parasitage reste supportable pour 8couronnes norvégiennes par jour et par personne... négociable avec Olaf pour une nuit offerte par tranche de 10jours.

  • Petite anecdote sympa, une famille de Wapiti (sorte d’élan) se balade au voisinage du camping, plutôt chouette et inhabituel comme rencontre.
  • Quant au « lancer » obligatoire, et autres matériels de pèche, il faut se limiter à un « lancer » des plus rudimentaires, style 30 à 50cm (replié), pour la seule commodité de son moulinet, car sur place on peut acheter, pour quelques couronnes norvégiennes, une sorte de cuillère à Alose très efficace pour sortir des maquereaux fous et dodus, gros comme des avant-bras de grimpeurs tétanisés par une rési d’au moins cent mouvs... soit dit en passant, cela ne relève strictement en rien d’une technique de pèche, ni d’un mérite... mais c’est bien bon à griller sur les barbecues communautaires du camping. Perso, je n’en n’avais jamais vu de semblable sur les étals de nos poissonniers.
  • Pour la durée du séjour, 15jours sont un minimum, 3semaines sont plus optimum pour profiter, et de la grimpe, et du contexte des fjords.
  • Au titre des commodités, il faut prévoir deux paires de chaussures de marche, du fait de l'approche très spongieuse et difficilement évitable, voire une paire de botte.

Un petit clin d’œil aux proprios Olav et Berit et à toutes les personnes rencontrées au camping, notamment notre voisin suisse qui aura été synonyme de partage avec du poisson, des moules, de la bière, un canoé, et de la rigolade.